Des lettres et des mots

Rencontre avec Gina Serret

Gina Serret, portrait

Depuis 8 ans, la calligraphie rythme le quotidien de Gina Serret. Graphiste de formation, elle livre ses conseils en calligraphie dans des cours, des ateliers, et même dans un livre publié en 2018, “Caligrafía con pincel”.

Le PAON : Bonjour Gina ! Peux-tu te présenter et nous parler de ton parcours ?

Gina : Je suis née à Barcelone, cela fait maintenant 4 ans que je suis installée à Paris. Je suis graphiste de base mais avec le temps, je me suis spécialisée dans la calligraphie, le lettrage à la main et la typographie.

Comment as-tu entendu parler de la calligraphie et quel a été ton premier contact avec celle-ci ? 

Quand j’ai fait mes études de graphisme à Barcelone, il y avait une petite partie réservée à la calligraphie. J’ai pratiqué dans le cadre des mes études, durant quelques mois. Dans les études de graphisme, il est important de comprendre ce qu’on appelle l’anatomie de la lettre et la construction des lettres de l’alphabet latin. C’est pour ça que la calligraphie, la base de la typographie actuelle, apparaît normalement au début des études. J’ai donc commencé à 19 ou 20 ans pendant une période très courte. Je me souviens que c’était très dur car ce n’était pas du dessin, on ne pouvait donc pas retoucher les lettres. A cette période de la vie, on n’est pas très patient, il faut donc faire preuve d’une grande concentration. 

J’ai ensuite retrouvé la calligraphie lors de mon master en design typographique. Pendant 3 mois, la formation était consacrée à la calligraphie. J’ai beaucoup aimé, je me suis amusée, pourtant je n’ai pas persévéré sur mon temps libre. Ce n’est qu’en 2015, lorsque j’ai pris une année pour suivre un cours de calligraphie, que j’ai officiellement adopté cette pratique. 

Extrait du livre Caligrafia Con Pincel
Double page du livre pratique d’initiation à la calligraphie au pinceau ‘Caligrafía con pincel’ de Gina Serret.

Quelle est la différence entre calligraphie et lettering ? 

C’est assez simple à différencier, il suffit de mettre en lien une pratique et un verbe. La calligraphie, c’est écrire. Le lettering, c’est dessiner. La typographie, c’est un système de lettres qui ont été créées pour reproduire les lettres de façon mécanique. Si je retouche ma calligraphie, alors je fais du lettrage. 

Lettering, Gina Serret
Processus de développement d’un travail de lettrage pour la création d’un logotype par Gina Serret.

Quel est ton rapport aux mots et à l’écriture ? 

J’aime la littérature, et je m’en sers pour écrire des textes en calligraphie. Je dis toujours que c’est plus difficile de choisir le texte que de le reproduire. Je suis très exigeante et surtout lorsqu’il s’agit de projets personnels. J’essaie toujours de raconter quelque chose à travers la forme, la composition et la couleur, et de trouver un texte qui m’interpelle pour créer un projet avec du sens. Je prends très souvent des textes existants car je suis tellement perfectionniste que je préfère me concentrer sur la pratique plastique et graphique que sur l’écriture. Il y a des gens qui écrivent super bien, moi je suis spécialisée dans la forme des lettres. 

Où puises-tu ton inspiration ?

Pendant mes études de calligraphie, on révisait beaucoup la riche et vaste histoire de la calligraphie occidentale. Le travail le plus habituel était de reproduire des manuscrits existants, car c’est imitant qu’on apprend. Une fois le style intériorisé, il est plus facile de créer son propre style. On revoit des gens qui ont fait des travaux incroyables dans le passé mais aujourd’hui, j’essaye de trouver l’inspiration aussi au-delà de l’histoire de la calligraphie. Parfois, je me balade dans la rue, je vois une affiche ou une enseigne ancienne que j’aime bien, une exposition de photos ou d’illustrations, un artiste qui traite les lettres de façon naïve et inspirante, etc.

Quels sont les formats que tu aimes le plus réaliser ? 

Il y a deux choses avec lesquelles je m’amuse le plus : 

  • Les projets personnels où je peux travailler sur du grand format, au minimum 50 x 70 cm, ce qui est très challengeant. Il y a à la fois un travail de recherche pour le texte, le concept, aussi pour la composition et pour le contraste de tailles et de styles de calligraphie. Je trouve que c’est un exercice très complexe et complet, qui me stimule beaucoup, et j’imagine que c’est pour ça que je ne le fais pas souvent, car ça prend tellement de temps ! [rires].
  • Les projets en tant que graphiste : j’aime créer des logotypes, à partir de zéro, d’où je me sers de la calligraphie pour travailler le côté branding. C’est moi qui dessine toutes les lettres, qui imagine ses liaisons et qui crée des relations entre ses formes. J’adore le processus. J’ai une commande d’un.e client.e, et j’aime faire des recherches de matériel existant, souvent ancien, chercher sur des disciplines différentes, et réaliser le premier croquis à la suite d’un brainstorming. Je jette toutes mes idées sur une feuille A4, des idées simples pour voir toutes les options stylistiques, de forme et de structure. J’aime aussi faire participer le client pour s’assurer qu’il soit content de l’évolution, puis la transition du papier au digital. J’utilise très souvent le numérique pour finir le design en tout dessinant en vectoriel. 
L'avenir, Gina Serret
Composition écrite au pinceau rond et appliquée sur l’étiquette d’une bouteille de vin, par Gina Serret.

Préfères-tu utiliser un feutre ou un pinceau ? Pourquoi ?

Ça dépend du travail. Pour la calligraphie, le pinceau a beaucoup plus d’options, car il est souple. Une fois qu’on maîtrise la pression, c’est bien plus facile. J’aime beaucoup le pinceau pour sa diversité de résultats. Avec le temps j’ai trouvé mon style avec un pinceau rond, d’aquarelle. 

Le feutre, c’est utile pour les travaux rigoureux comme les logotypes, car on peut mettre de l’encre sur un dessin et avoir un résultat très propre.

La calligraphie demande beaucoup de rigueur et d’exercice. Est-ce une pratique que l’on peut exercer pour se détendre ? Ou plutôt pour se perfectionner ? 

Ça dépend. Personnellement, je l’ai pris comme une profession donc je suis très rigoureuse. Mais, ayant donné beaucoup de cours, j’ai eu des élèves qui n’ont jamais pris la calligraphie à but professionnel. C’était des gens adultes qui aimaient beaucoup le travail graphique et manuel et ont trouvé dans la calligraphie une sorte de flow artistique pour se détendre.

J’essaie d’être stricte dans l’exercice, car j’ai appris comme cela, mais il y a des gens qui font ça pour s’amuser et passer un bon moment, ce que je respecte et encourage totalement. Je me considère moi-même comme apprentie, car le procédé d’apprentissage n’est jamais vraiment fini.

Gina Serret, Composition Personnelle
Projet personnel de calligraphie basée sur la poésie d’Anna de Noailles. Gouache sur papier, 50x70 cm, par Gina Serret.

Sur quels projets travailles-tu en ce moment ?

En ce moment, je suis dans une période de fins de projets et je me force un peu à récupérer une typographie inspirée du jazz que j’avais commencé à créer il y a quelques années. Je souhaite la corriger, l’améliorer, et augmenter la gamme de poids de la famille typographique, mais c’est assez dur de se mettre des objectifs et deadlines seule. 

J’ai aussi un projet de livre commencé en 2019-2020, qui portera sur la calligraphie au quotidien. Une sorte de manuel pour réapprendre la calligraphie quotidienne, comme pour écrire une liste de courses, par exemple. 

Je suis aussi sur un projet en collaboration avec une amie céramiste. Nous sommes en pleine élaboration pour mêler nos deux pratiques. 

As-tu un conseil à donner aux élèves du PAON ?

Ayant été élève, je recommande de ne pas attendre beaucoup du début. Je suis consciente de la frustration liée à la comparaison avec le modèle. Au départ, j’étais mauvaise à la calligraphie, mais à force de persévérer et de beaucoup travailler, je suis parvenue à ce résultat. Il faut être passionnée, car on peut vite abandonner. Ce qui a l’air très simple ne l’est pas forcément, en calligraphie.

Dans notre société on est très habitué à l’immédiateté donc c’est un bon exercice mental d’apprendre que tout n’est pas immédiat et qu’avec de la rigueur et de la patience, on y arrive. La calligraphie est un art contre le rythme actuel de notre société, c’est une bonne activité de détente car elle oblige à se concentrer et à travailler doucement.  

Calligraphie de Gina Serret
Travail de calligraphie au pinceau sur papier de riz, par Gina Serret.

Tu animes un cycle de cours au PAON, S’initier à la calligraphie au pinceau. Que va-t-on pouvoir découvrir avec toi ? 

C’est un atelier d’initiation, donc on va apprendre comment utiliser l’outil, ses propriétés, comment profiter de sa souplesse et avoir l’épaisseur de trait dont on a besoin. On pratiquera avec des exercices rythmiques la dynamique de trait épais et de trait fin et après plusieurs répétitions, on pourra ensuite créer des lettres simples pour arriver aux lettres les plus complexes. 

Le but de la calligraphie est d’écrire des textes, donc j’essaie toujours de forcer l’élève à écrire des mots, des paroles, même s’ils sont inventés.

On va aussi travailler l’espace entre les lettres, entre les mots et les lignes. Figure-toi que, souvent, on oublie l’importance des espaces blancs, qui sont essentiels dans n’importe quel travail de composition plastique. Dans le cas de la calligraphie, le blanc est aussi important que le noir – la ligne –, car si un espace est mal mis, cela peut tout casser. Après ce cycle d’initiation, les élèves seront aptes à continuer en autonomie.